La politique énergétique de l’État met le pays en danger.
Notre pays, de plus en plus dépendant des pays voisins pour assurer son approvisionnement en électricité, apparaît particulièrement fragile pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine et aux événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents.
En prolongeant le fonctionnement des vieux réacteurs, il accroît le risque de catastrophe atomique. En prétendant lancer la construction de nouveaux réacteurs EPR, le gouvernement s’enferre dans des choix de politique énergétique qui nous amènent dans un mur.
La vétusté de nos centrales, l’émergence de défauts génériques et le réchauffement climatique entraînent, avec l’arrêt de la moitié du parc, une production insuffisante pour assurer les besoins en électricité du pays. Il en résulte un appel croissant au soutien des pays voisins.
Si jusque-là la France peut compter sur le réseau européen pour assurer ses pointes de consommation, ses besoins d’importation en cours de journée s’accroissent avec la défaillance de ses centrales, tandis que l’importation réduite d’hydrocarbures russes va rendre plus difficiles et plus chers les transferts d’électricité depuis les pays proches.
Le pays est donc confronté à des difficultés sérieuses : hausse importante du prix de l’électricité, délestages probables en période de pointe (coupures de courant temporaires et localisées) afin d’éviter un effondrement du réseau au cas où la consommation dépasserait la production en France et importée. La tentation est grande de faire fonctionner des équipements en dehors des normes de sûreté et de faire courir le danger d’une catastrophe atomique. On ne peut pas compter sur la vigilance de l’Autorité de sûreté nucléaire, trop soumise aux impératifs de survie de cette industrie.
Notons, pour en rire si c’est possible, que l’ASN a dénoncé le cas caricatural des groupes électrogènes diesel de secours des réacteurs nucléaires : cette technique on ne peut plus rustique, sur laquelle repose notre sécurité, est déclarée défaillante, en particulier en cas de séisme ! Et des groupes électrogènes d’ultime secours, installés suite à la catastrophe de Fukushima, prennent feu au démarrage.
Comment en est-on arrivé là ?
Il faut pour le comprendre remonter aux choix de politique énergétique engagés par l’État depuis une soixantaine d’années : investissements massifs et coûteux dans le « tout nucléaire » électrique, destinés à minimiser les coûts du nucléaire militaire — avec la construction à marche forcée de 58 réacteurs, qui de ce fait arrivent tous en fin de vie dans la même décennie –, promotion du chauffage électrique, encore relancé actuellement alors qu’en Suisse par exemple il est interdit, développement de la climatisation, autant d’obstacles au développement de l’efficacité énergétique et de moyens de production d’énergie renouvelable décentralisés et beaucoup moins dangereux que le nucléaire (solaire, éolien essentiellement).
C’est aujourd’hui un échec car cela fait de notre pays l’un des plus fragiles de l’Europe face à la dérive climatique et à la guerre en Ukraine.
Cela n’empêche pas l’Etat de prétendre vouloir relancer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires EPR au nom d’une indépendance énergétique chimérique, du soi-disant faible coût de l’électricité nucléaire, en fait financé par nos impôts pour éviter la faillite d’EDF, et de la prétendue production d’énergie décarbonée.
Mais l’énergie nucléaire n’est pas une solution face au réchauffement climatique — même si la France a réussi, à force de lobbying, à faire adopter par l’Union européenne qu’elle soit considérée comme énergie de transition.
En effet, le faible rendement thermique des centrales fait que les deux tiers de la chaleur produite ne servent qu’à réchauffer l’environnement. De surcroît, la pénurie d’eau et les conditions climatiques extrêmes en rendent le fonctionnement intermittent.
De plus, sachant qu’au maximum de ses possibilités, l’électricité nucléaire a couvert à peine 17 % de la consommation finale d’énergie en France, il faudrait, pour réduire significativement la consommation d’énergie fossile, construire plus d’une centaine de réacteurs, et cela dans des délais extrêmement courts. Est-ce seulement imaginable ? (ou ce n’est envisageable que par des esprits dérangés ou des menteurs).
Enfin, avec tout ce qu’elle implique d’extraction de matériaux, de béton, d’énergie, de transports, de rejets, c’est un mensonge de prétendre que l’énergie nucléaire est décarbonée.
N’oublions pas non plus l’énorme production de déchets radioactifs, à gérer pour des temps infinis à notre échelle, les dégâts sur la santé des êtres vivants et bien sûr les risques de catastrophe !
Aux mains de la nucléocratie, l’État s’entête, ne veut rien comprendre, cela pour protéger les intérêts de grands groupes et d’élus locaux bénéficiant de la « manne » nucléaire et mais aussi pour préserver la maintenance de la force de frappe au nom de sa « grandeur ». Il s’apprête déjà à annoncer la construction de 6 réacteurs EPR au mépris des oppositions et de toute démocratie.
Pourtant il est acquis que l’avenir passe par d’autres voies. Et d’abord par la sobriété et l’efficacité énergétiques, appliquées au plus haut sommet de l’Etat et des grandes entreprises, la meilleure énergie étant celle qu’ils ne consomment pas ? Ce n’est certainement pas le développement du transport routier, l’éloge de la vitesse, le soutien inconditionnel aux industries aéronautiques (y compris militaires) et automobile (voitures électriques), l’ubérisation numérique, etc., qui répondront à cette attente.
Il est aussi possible, on le sait, de produire une électricité moins chère et moins polluante, à partir de l’énergie gratuite qui nous parvient naturellement du soleil. L’Allemagne, l’Italie, produisent déjà la moitié de leur énergie de cette façon et vont accélérer pour être moins dépendants du gaz et du charbon. Avec l’Espagne, ce sont ces pays qui comblent notre déficit de production électrique aux heures de pointe, et de plus en plus souvent dans la journée, pour l’instant du moins.
L’annonce de décisions de construction de nouveaux réacteurs et de nouveaux équipements de gestion des déchets (Cigeo à Bure, piscines à la Hague) relève de la fuite en avant. Elle doit provoquer une réaction massive et radicale : revendiquons l’arrêt du nucléaire sans délai, à commencer par celui des plus vieux réacteurs, et donc de la production de déchets. C’est la condition pour que les sommes considérables investies dans l’énergie nucléaire soient utilisées plus utilement et plus démocratiquement.
Annie et Pierre Péguin, suite aux Journées d’été du collectif Arrêt du Nucléaire, juillet 2022.